Je serai présente au salon du livre d'Amblainville pour la promotion de mon livre :" Ce passé qui ne passe pas"

Plus bas vous trouverez la jaquette du livre et un extrait du premier chapitre.

 

 

Salon du livre d'Ambleville
Salon du livre d'Ambleville

En passant par le Col d’Arès.

Du 7 au 9 décembre 1942

 

 

Grâce à une lettre adressée à son frère Armand,  j’ai pu reconstituer l’évasion d’Yvette et de ses parents. Nous sommes le 7 décembre 1942 à quelques kilomètres du col D’Arès à la frontière espagnole dans le département des Pyrénées Orientales du côté français.

 Extraits

"..."

Jusqu’à son arrivée en catastrophe fin juillet, la montagne n’était pour elle qu’une masse irisée de sommets pointus sur les photos du calendrier des postes. L’été, elle est accueillante et verte. Les semaines à jouer avec les cousines dans les eaux du Têt ont passé à toute vitesse. Maintenant c’est l’hiver, la nuit. Le froid est tombé. Elle enfile ses chaussettes,  mais ses pieds sont trop serrés dans ses chaussures de ville. Ce sont des chaussures d’été, des chaussures de petite fille, des chaussures à brides, ouvertes sur le dessus. Les semelles sont fines. Quand ils sont partis, c’était encore la belle saison.

"..."

À voix basse le passeur donne ses instructions. En cas de non-respect d’une de ces recommandations, il se donne le droit de les abandonner à leur sort. Ils sont prévenus. Le trajet va durer plusieurs jours. Les consignes commencent par une série de : « ne pas, sous aucun prétexte : parler, tousser, s’arrêter de marcher sans son signal, s’écarter du chemin, quitter la file indienne. Le groupe sent peser le poids de la menace et la précarité d’une situation qu’ils ne maitrisent pas. Leur vie dépend de l’honnêteté d’un homme qu’ils ne connaissent pas. Des rumeurs ont circulé sur ces passeurs malhonnêtes qui prenaient l’argent et abandonnaient leurs clients en pleine montagne quand ce n’était pas pour les remettre à la police des frontières. Les adultes savent aussi que les passeurs risquent gros. Mais cet homme-là, ils savent qu’ils peuvent lui faire confiance. Il y a un mois tout juste, le fils ainé de la famille a emprunté cette filière d’évasion.

"..."

La main du guide se dresse. Les cœurs battent plus fort. Mal assurée dans ses chaussures de ville, la mère cherche à éviter de se tordre les chevilles dans des cailloux qu’elle devine plus qu’elle ne voit. Elle s’accroche au bras de son mari pour ne pas tomber. Pour donner le change, elle sourit. Elle sourit à sa fille qui tremble de froid pour lui donner du courage. Elle sourit à son mari pour le rassurer. Elle sourit au guide pour qu’il ne les abandonne pas. Elle sourit à l’avenir qui les attend. Elle veut croire au futur. Elle s’est assez battue pour ça. Ils sont arrivés à la tombée de la nuit à la première étape. Gravir un dénivelé de près 1500 mètres pour atteindre le refuge de Pla Guillem à 2276 mètres d’altitude relève de l’exploit si l’on considère l’absence d’entrainement et un équipement inadapté à la saison.  C’est la mère qui souffre le plus. Son regard se concentre sur ses pieds, ses chevilles enflées, ses bas de laines trempées. Tout au fond d’elle, elle sait. Elle sait qu’elle doit tenir. Elle n’a pas le choix. Elle sait qu’elle risque de les retarder. L’abandonner en cours de route, ils ne le feront pas, ils renonceraient. Être la cause de leur perte est inimaginable, impensable, inacceptable.

Dans les histoires de migrants, ce sont presque uniquement des hommes jeunes qui tentent les évasions. Combien sont passés ? Combien sont morts ? Même l’Histoire ne le sait pas. Un nombre infime de femmes accompagnées d’enfants ont tenté leur chance. Peut-être sont-ils la seule famille à accomplir cette évasion.

La mère n’ose pas lever les yeux pour affronter la masse hostile qui se dresse devant elle. C’est au-dessus de ses forces, il lui faudra puiser dans sa détermination pour retrouver le courage de poursuivre cette ascension. Seule la peur de revivre les heures terribles de l’attente dans ce commissariat de Prades la maintient dans cet état d’esprit. Ils arrivent au refuge du Pla Guillem. C’est un abri rustique construit en pierres du pays. Dans d’autres circonstances, ils l’auraient trouvé pittoresque, mais leur état d’épuisement ne leur permet pas. Les pierres disjointes laissent passer un vent d’hiver rendu encore plus glacial à cette altitude. Les flammes des bougies ne résistent pas longtemps, il faut sans cesse les rallumer. Le sol en terre battue est dur comme la pierre. Deux bancs posés contre les parois et une table bancale composent le mobilier. À leur arrivée, ils ont trouvé des bouteilles et des boites de conserve vides, signe du passage des évadés précédents. Ils se serrent les uns contre les autres pour avoir moins froid. Ils boivent du lait dans la gourde que leur tend le guide. Après une nuit sans sommeil, ils ont repris la route en chantant pour se donner du courage. C’est la petite fille qui chante le plus fort. Elle a douze ans. Sa voix claire et juvénile s’élève au-dessus du groupe qui reprend les refrains avec plus ou moins d’entrain. Chanter fait oublier, le froid, la faim, la peur. Unir leurs voix les rend plus fort.

"..."

Les chemins deviennent de plus en plus étroits, les pentes de plus en plus raides. La progression rend tous les bruits terriblement angoissants. Parfois, le choc d’un caillou claquant en arrivant quelques mètres plus bas, indique la profondeur des précipices qui bordent les passages. Les pieds glissent dans les chaussures de ville. Impuissants à les retenir, les mains s’accrochent à la moindre aspérité. Les corps se hissent au prix d’immenses efforts aux flancs durs et irréguliers de la montagne.

 

 
 

 

... …

 

 

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